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Mes années Lebrun

publié par F. L.-Z. le 4 octobre 2008

Lorsque mes cheveux étaient blonds et que l’invite était lancée, je prenais le premier métro pour rejoindre la Maison de la radio. J’assistais à une des émissions de Culture Matin découvrant les visages des voix connues et déjà familières : Jean Lebrun, Marc Voinchet, Emmanuel Laurentin, Jean-Louis Ézine installés autour de la table ronde. C’était la magie des lampes, des entretiens, des signes aux opérateurs pour les pauses, les documents, les illustrations musicales, un rituel préparé ou presque. Être là, c’était participer à l’élaboration d’un monde sonore qui allait se diffuser loin du studio. Dans mon enfance, le poste se nommait T.S.F. et je m’émerveillais d’y entendre les voix, les chansons et même des publicités...
La Quintonine... À Passy, j’étais au cœur du mystère. Il y avait quelques habitués à ces rencontres du matin, on avait des clins d’œil de connivence. Après l’émission, les entretiens se poursuivaient dans une pièce voisine avec café, croissants. On pouvait y participer. Je me souviens de Marie-Hélène Blandin, de Théodore Zeldin, nous avons bavardé jusqu’au métro. Une grâce. En écrivant ces lignes, je revois un
univers plus confortable, moins violent, moins inégal, plus porteur d’espoir. Avais-je des œillères ? L’atmosphère était de bon aloi, joyeuse, prête aux plaisanteries ; un matin l’émission fit mine de se transporter en un haut lieu : Pontault-Combault que l’on explorait. Le temps de Culture Matin me renvoyait peut-être ma naïveté. On tentait de comprendre le monde, on voulait participer à sa construction dans l’épanouissement de toute l’humanité.

Après les années Passy, il y eut l’intermède « Hôtel Meurice », c’était plus près, racé, proche du Louvre et des Tuileries, une autre coloration. J’y ai assisté à l’émission avec M. Toubon, enthousiaste des « autoroutes de l’information ». Cela m’a semblé irréel. Je crois que le mot « internet » était encore inconnu du plus grand nombre s’il existait. France Culture était aux avant-gardes.

Je ne suis plus sûre de ma mémoire, Jean Lebrun n’est plus aux commandes des Matins je le rejoins en fin d’après-midi au Café de Cluny puis au Bouillon Racine, un espace vert d’eau au décor de faïences fleuries « Art nouveau » très plaisant, avec des serveurs en gilet noir et long tablier blanc. L’émission s’appelle maintenant « Pot-au-feu », en plus des techniciens et des collaborateurs, de Marc
Voinchet (Emmanuel Laurentin est à la Fabrique de l’Histoire) on découvre Emmanuel Giraud qui est aux fourneaux avec des recettes cocasses en lien avec l’invité, c’est parfois un parfum de la France profonde et gastronome qui court au Quartier latin. Des merveilles sortent de la petite casserole, crêpes, soupes étonnantes. En fin de semaine, l’émission a souvent lieu en province, France Culture avec sa fausse réputation d’élitisme va au-devant de ses auditeurs et l’on devine Jean Lebrun heureux de ces déplacements, négligeant la fatigue des transports publics. Il y a comme une ronde de rendez-vous à Blumeray dans la Haute-Marne, Avignon, Strasbourg, Saint-Malo, Gap le Larzac, Saint-Denis dans le
« 9-3 », Montpellier pour les Rencontres de Pétrarque, Marseille pour celles d’Averroès... Jean Lebrun est comme un colporteur, ces derniers ont joué un grand rôle dans l’Histoire, ils ne vendaient pas que des rubans et des almanachs mais des livres, des informations, des idées, contre-point des faux-indicateurs et manipulateurs. En novembre 2006, Jean Lebrun a publié un livre modeste et savoureux, Journaliste en campagne, aux éditions Bleu autour. Il sait bien parler de lui.

Je n’ai pas vu passer les années... d’autres études, des voyages... si mes cheveux sont blonds, ce n‘est plus que d’artifice. Je me souviens de quelques émissions au Musée d’Art moderne, avenue du Président Wilson de Paris, le Palais de Tokyo, dans un décor résolument moderniste pour ne pas dire kitsch, dans lequel le matériel d’enregistrement arrivait à se tailler une modeste place et de la rencontre
avec Élie Barnavi, diplomate israëlien, atmosphère très animée qui aurait voulu prophétiser la paix très prochaine au Moyen-Orient. Les auditeurs présents ont dîné ensemble au self proche dans l’euphorie.

Le Bouillon Racine, un de ces derniers représentants des établissements populaires créés par les frères Chartier au milieu du dix-neuvième siècle pour une clientèle croissante d’ouvriers et d’employés assurés d’un plat unique et d’un « bouillon », cet élégant restaurant, vieilli, ne pouvait plus accueillir France Culture, ce fut le tour et la chance d’un café latino-américain, El Sur, boulevard St Germain, on boit du maté. Les rencontres se nomment « Travaux publics », on y retrouve Jean Lebrun avec Mathieu Garrigou-Lagrange, Alexis Patostef... et quelques auditeurs habitués. Je me déplaçais en fonction de l’invité ; l’écologie, le fait politique me passionnent et m’inquiètent. J’ai un souvenir ému de Florence
Aubenas et de Claude Dilain, courageux maire de Clichy-sous-Bois. Les émissions menées par un chef d’orchestre comme Jean Lebrun tenaient à une atmosphère de liberté, à une incitation à la réflexion, à sa conviction implicite de la dignité de tout homme, avec ou sans papiers.

M. Lebrun est appelé à des responsabilités plus importantes à France Culture, nous sommes confiants mais orphelins.


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